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Pour une approche culturelle de la transition énergétique

La question énergétique est, à bien des égards, la mère de toutes les questions écologiques. Elle est aussi celle pour laquelle le prisme technologique agit le plus comme un verrou à la transition, en niant sa dimension socio-culturelle globale pour s'intéresser préférentiellement aux comportements individuels. Comment lever ce verrou ?


Le mot transition recoupe deux réalités différentes. La première, issue de la physique, évoque une bascule d’un état stable à un autre état stable, connu à l’avance. Dans un second sens, le mot évoque la mutation elle-même, le processus de transformation entre ces deux états stables, avec dans ce cas une destination finale qui nous est inconnue.


Cette second acception est celle de la transition énergétique, et nous savons déjà que notre cerveau n’est pas configuré pour cette option (1). La psychologie environnementale nous enseigne que nous sommes capables de faire face à une crise, c'est à dire à un événement brutal mais réversible, dont le point final est connu puisqu’il s’agit du point de départ. Nous savons également nous adapter à une évolution progressive de notre environnement dès lors que son tempo est suffisamment lent. Mais la transition en tant que processus radical dont l’issue est inconnue demeure pour nous une zone à risque. Outre ce facteur psychologique, lui-même largement mésestimé dans le traitement des questions énergétiques, il nous semble important de mettre en lumière l’importance d'un facteur socio-culturel global dans le processus de transition, facteur peu documenté dans la littérature en tant que tel.


Il est pourtant établi depuis les années 1970 qu’il existe un lien entre mutation du système énergétique et transformation de l’organisation sociale et des modes de vie. Mais ce lien est généralement considéré dans un sens unilatéral, celui de l’adaptation des comportements au système, l'adaptation inverse, à savoir celle du système aux individus, n'étant quasiment jamais évoquée. Or, cette vision causale ne cadre pas toujours avec les scénarios de transition énergétique proposés aujourd’hui.


Celui de l'association NégaWatt, qui rassemble des experts de l’énergie et des citoyens, fait reposer la transition sur 3 piliers qui lui permettent de proposer une vision réaliste et crédible d’un futur énergétique dans lequel l’usage des énergies fossiles aura disparu en 2050. Ces 3 piliers, bien connus de acteurs de l'énergie, sont les suivants : sobriété énergétique / efficacité énergétique / développement des énergies renouvelables.


Dans une approche systémique, on observe que chacun de ces piliers suppose un changement de paradigme, une mutation culturelle profonde, qui nécessite de repenser les contours du débat global. C'est de cette composante culturelle de la transition énergétique que nous proposons de débattre ici.


Sobriété : l’importance du facteur socio-culturel


Premier pilier, la sobriété énergétique se définit comme la réduction de la consommation de services énergétiques. Si, de prime abord, cette notion semble liée à la recherche d'efficacité, elle porte en elle des enjeux de société beaucoup plus profonds, qui questionnent nos modes de vie (2).


Pour cette raison, la question de la sobriété peine encore à s’inviter dans le débat sur l'énergie. Elle est un concept controversé car elle propose une vision profane vulnérable aux critiques, en posant la question de la consommation et des usages, et en filigrane celle des besoins et donc des finalités de nos existences. Elle ne peut pas être évoquée sans un débat sur la décroissance par exemple, ce à quoi la société ne semble aujourd’hui guère disposée, tant le dogme de la croissance s’impose à tous comme un axiome inaltérable.


En outre, la sobriété pose la question de la justice sociale, car les pratiques de sobriété sont généralement plus accessibles pour les ménages aisés : si l’on habite à proximité de transports collectifs, on pourra plus facilement se passer de sa voiture, par exemple. À l’opposé, une sobriété subie peut toucher des ménages plus modestes et engendrer des situations de précarité énergétique. 



En faisant de la sobriété un principe de refondation de notre système énergétique, les scénarios de transition éludent parfois la nécessaire discussion sur la possibilité - ou l’impossibilité - d’engager ou de peser sur des mutations culturelles globales, et la responsabilité du changement se retrouve déportée presque exclusivement sur l’évolution des comportements. Pourtant, poser la question de la sobriété dans une société consumériste ne saurait se réduire à cet aspect, aussi important soit-il.


Pour comprendre les enjeux, l’exemple de la variabilité du montant des dépenses énergétiques des ménages est un élément tout à fait parlant. Ces dépenses représentent en moyenne 4% du budget moyen annuel des Français, mais varie selon les ménages de 1 à 15 %. On peut y voir spontanément l’effet d’habitudes de consommation différentes, mais il s’avère que la réalité de nos modes de vie est plus complexe. On constate, par exemple, que ce ne sont pas tant nos habitudes de consommation énergétique qui influent sur le choix de notre logement (taille, ancienneté, type de chauffage…) que l’inverse : c’est d’abord le logement qui oriente les comportements et, après lui, les revenus du ménage et d'autres facteurs moins déterminants (localisation, taille du foyer, statut, niveau d’activité…).

 

Ceci éclaire l’importance toute relative des comportements individuels dans la question de la sobriété, et la prééminence d’une composante plus structurelle qui illustre déjà les limites d’une politique faisant l’économie d’une lecture culturelle de l’énergie. Appeler à une évolution des comportements vers la sobriété a une fonction pédagogique, mais les études montrent que cela atteint vite des limites, la réalité étant toujours plus complexe (3).


Ceci vaut en particulier pour la question de la sobriété, mais qu’en est-il des deux autres piliers évoqués plus haut (efficacité et énergies renouvelables) ? 


Sortir de la logique de substitution


Concernant le développement des énergies renouvelables, le modèle énergétique de demain l'envisage d'abord dans une logique de substitution (4). Or, les renouvelables n’ont pas et n’auront jamais la puissance, la mobilité et la souplesse d’utilisation des énergies fossiles. Penser ces énergies de cette manière les condamne donc à ne jamais supporter la comparaison et empêche d’autoriser un imaginaire dans lequel elles joueraient un rôle différent de celui des énergies fossiles aujourd’hui.


Réfléchir au développement des énergies renouvelables sur un mode centralisé, comme nous le faisons généralement, bloque ainsi nos représentations du futur autant que les innovations techniques, sociales et institutionnelles qui pourraient advenir dans autre modèle. Ce blocage centralisateur est particulièrement fort en France où le modèle de l’énergie s’est construit après-guerre en se basant sur le contrôle central de la production d’électricité nucléaire. Or, si ce modèle a fait ses preuves, il est aujourd’hui un frein à la recherche et à l’investissement en raison de son caractère monolithique, qui met à mal l'échelon local et les solutions modulaires.



En conséquence de cette logique, on cherche aujourd’hui à adapter l’énergie au réseau et au système technique en place, considéré comme un acquis socio-économique. La recherche sur les énergies renouvelables est donc orientée sur le stockage pour permettre à ces énergies de s’intégrer dans ce qui existe déjà plutôt que d’imaginer des solutions alternatives “hors-réseau”.


Ainsi, on pointe régulièrement l’inadaptation des énergies renouvelables au réseau existant sans oser formuler la possibilité que c’est, peut-être, au réseau de s’adapter aux énergies nouvelles, pour rapprocher la source de l’usage. Les énergies renouvelables étant par essence locales et modulaires, il est absurde, dans une certaine mesure, de chercher à les contraindre dans le système en place.


Tout au contraire, ces énergies nous proposent un changement de paradigme qui modifie le rapport de l’homme à son environnement. Il s’agit bien de penser une collaboration entre l’homme et la nature, sur une logique de flux en phase avec les éléments naturels. Leur dynamique locale, la proximité entre la production et la consommation rendent l’énergie visible “derrière la prise”, pour reprendre le slogan de la coopérative énergétique EnerCoop. Elles favorisent un changement de regard et orientent une modification spontanée des comportements. La coopérative affiche d’ailleurs que ses clients particuliers consomment en moyenne 22% d’électricité en moins que chez les autres fournisseurs. 


Cette vision dialogique de la transition énergétique permet de comprendre que le système énergétique que nous allons construire aura autant d’impact sur les comportements que l’inverse. Il est donc primordial d’affirmer que si nous désirons construire notre futur avec des énergies renouvelables, elles doivent être inscrites dans un système qui leur corresponde. et dans lequel la sobriété pourrait s’imposer d’elle-même. 


Fossiles contre renouvelables : 2 modes d’être au monde


Cette conception de l’énergie revêt une dimension éminemment culturelle. Les énergies fossiles s’inscrivent dans la vision linéaire et continue du progrès, là où les énergies renouvelables s’inscrivent dans une vision cyclique, celle des sociétés traditionnelles. 


La vision linéaire de l’innovation technologique nous condamne à sans cesse remplacer une technique par une autre, alors que les énergies renouvelables s’inscrivent dans un rapport au temps différent, perpétuant des techniques anciennes telles que la géothermie, l’énergie éolienne ou hydraulique, en les adaptant au référentiel de la modernité tout en conservant leurs principes de base. La culture des énergies renouvelables n’est donc pas celle des énergies fossiles. C’est une culture de l’observation de la nature et de l’histoire, résolument contradictoire avec la modernité en tant que culture du progrès permanent. Elles sous-tendent un rapport au monde totalement différent.


Les énergies fossiles ne laissent entrevoir aucune dépendance à la nature en séparant la production de la consommation, et leur caractère stockable explique en grande partie cette déconnexion en créant un “sas” entre l’homme et la nature. Avec les énergies renouvelables, il est plus difficile de dissocier le monde social du monde naturel, et chercher à les rendre stockables revient à les contraindre dans un schéma qui ne leur convient pas : celui du progrès, considéré comme capacité de la société à rendre l’homme moins dépendant des aléas de la nature. Les énergies renouvelables sont des énergies de flux et elles ouvrent la voie sur un monde où la source n’est pas appropriable, car non contrôlable.


Avant d’être une réponse technique, les énergies renouvelables sont donc une réponse culturelle et il importe de les considérer comme telles pour ne pas construire des solutions partielles ou inadaptées. 


Efficacité : l’effet rebond n’explique pas tout


Cette dimension socio-culturelle se retrouve également dans la place que nous accordons à la technique dans les projets de transition. En effet, dans la plupart des scénarios de transition énergétique, l’innovation technologique est décrite comme indispensable en particulier pour améliorer l’efficacité énergétique, troisième pilier de notre triptyque. Ces scénarios portent en eux une injonction structurelle à trouver des solutions technologiques.


Ce “solutionnisme” est révélateur de notre foi profonde en la technologie, qui est lui-même un fait culturel majeur, peut-être le fait culturel le plus important de notre société moderne en cela qu’il incarne l’idée même de progrès. Mais le solutionnisme technologique pose un problème comportemental bien connu des acteurs de la transition écologique, l'effet "rebond" (5). 


Cet effet désigne l’annulation des gains d’efficacité énergétique du fait d’une utilisation accrue du service. Autrement dit : le fait qu’une amélioration des perspectives technologiques et de l’efficacité d’un service conduise de manière paradoxale et non souhaitée à une augmentation de sa consommation… A l’opposé, donc, de l’objectif concomitant de sobriété. Par exemple, un ménage qui rénove son logement pour améliorer son isolation aura tendance à augmenter sa température de chauffe après les travaux, et plus la consommation était auparavant limitée, plus l'augmentation sera forte.


L’effet rebond est aujourd’hui largement cité dans les politiques publiques de transition énergétique mais il n’explique pas tout et ne doit pas empêcher une analyse plus structurelle du problème. Car une autre observation permet de changer de regard sur la question : la température de chauffe recherchée est généralement plus élevée dans un logement récent que dans un logement ancien, sans qu'advienne une quelconque modification des caractéristiques du logement.



Ainsi, s’il est tentant de considérer que la température de confort des logements relève d’abord du comportement de ses habitants, on observe en réalité que la hausse des températures moyennes de chauffe est le résultat d’une coévolution des systèmes techniques (efficacité des logements) et des représentations sociales du confort qui les accompagnent. Et si les représentations sociales ont un impact certain sur les comportements, elles trouvent leur fondement dans des ressorts socio-culturels beaucoup plus profonds.


L’idée centrale est donc bien d’inverser la logique, en prenant en compte le fait que, certes, les changements de comportements influent sur le système (logique de la demande), mais que surtout, la modification du système lui-même impacte lourdement les comportements sur le long terme, et de manière durable (logique de l’offre).


Tout ceci illustre à nouveau le fait que la question de l’énergie procède aussi d’une dimension sociale et culturelle. Avec une lecture plus systémique, agir sur les comportements reste un élément déterminant mais si nous voulons découpler le progrès technologique de son effet rebond, il nous faut agir sur cet autre élément déterminant : la représentation sociale, et donc la culture de l’énergie dans nos sociétés d’abondance. 


Culture et transition


A ce stade, il est utile d’enfoncer une porte ouverte : la culture, ce n’est pas seulement la déclinaison des arts, des lettres et des sciences. Pour l’UNESCO, la culture au sens large doit être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs qui caractérisent une société. Elle englobe donc aussi les modes de vie, les lois, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. Cette précision est importante car, en France, la culture est généralement réduite à sa fonction de production d’art, ce qui peut conduire à des incompréhensions profondes et à des simplifications contre-productives sur le rôle de la culture dans les projets de transition.


Ce qui est inscrit dans la culture relève des représentations sociales, c’est à dire d’un ensemble complexes d’éléments (opinions, valeurs, croyances, idéologies) qui concourent à définir l’identité d’une société ou d’un groupe social, de manière à rendre son action cohérente et à justifier de choix collectifs. Sont donc concernés les arts et les sciences autant que la philosophie ou la spiritualité.


Or, il se trouve que la question de la culture n’est que rarement abordée dans les débats sur la transition écologique. On peut y avancer une explication fort simple : la transition écologique n’est pas, à ce jour, un fait culturel. Entendons par là : ses principales composantes sont scientifiques et techniques, éventuellement politiques et organisationnelles, mais ne relèvent pas de nos habitus, de notre ancrage culturel. C’est d'ailleurs encore le cas lorsque nous focalisons notre attention sur la question des comportements, sans voir le contexte structurel qui l’englobe. 


Nous n’avons pas intégré l’écologie comme une composante de notre système de valeur en tant que société, et tout porte à croire que nous en sommes loin. Nous pensons la culture d’abord en opposition à la nature, en vertu du dualisme cartésien qui construit nos modes de pensée et d’agir depuis 400 ans. Bien sûr, l’écologie, en tant que discipline systémique, tente de contrer cette idée en mettant en avant la profonde connexion qui lie notre système socio-économique à la nature. Mais quelque soit la grandeur et la force éthique de ce combat, l’écologie n’est toujours pas un fait culturel plein et entier. En revanche, le cartésianisme, le progrès et la logique de croissance sont, eux, clairement devenus des faits culturels incontournables. C’est donc bien d’une transition culturelle qu’il nous faut désormais parler pour accompagner la transition écologique.


Seulement voilà, la construction culturelle est un phénomène complexe et la culture se construit autant des champs sociaux auxquels elle est liée que de nos expériences individuelles et collectives. Et c’est bien là que le bas blesse, car nous n’avons encore que peu l’expérience sensible du changement climatique par exemple, pas plus d’ailleurs que celle de l’érosion de la biodiversité, ou celle de la raréfaction des ressources. Et même lorsque nous en faisons l’expérience directe, les mécanismes de défense cognitifs sont nombreux à nous en détourner ou à les refouler, précisément parce que cette expérience remet en cause de manière trop fondamentale notre habitus, qui réagit en conséquence pour assurer la stabilité de la société. Au point que le changement climatique risque bel et bien d’intégrer nos vies comme fait culturel, mais sans avoir déclenché de réaction d'évitement.


La réponse qui est généralement apportée à ce problème est toute choisie : c’est l’éducation qui doit mettre la société sur le droit chemin. Ce que nous avons raté, nos enfants le réussiront par un socle solide de connaissances. Malheureusement, si les sciences cognitives nous ont appris une chose, c’est que la connaissance n’engendre pas nécessairement l’action, en tous cas pas à elle seule. Entre les deux, il y a les biais cognitifs d’une part, c’est à dire les mécanismes psychiques qui nous font distordre la réalité, et la force de nos prédispositions sociales et culturelles d’autre part. Autrement dit, si l’éducation est une condition nécessaire pour amorcer un changement de société, elle est loin d’être suffisante et il nous faut entendre qu’elle n’a pas pour fonction à elle-seule de construire des systèmes de valeur.


L’éducation ou la sensibilisation ne sauraient suffire à construire une vision d’avenir, car la vision d’avenir est profondément culturelle, et que la construction de nos représentations communes mobilise l’ensemble des acteurs de la société. Or, si l’on s’en tient à cette vision de la culture, force est de constater que certains de ces acteurs sont aujourd’hui déconnectés de la question culturelle, au premier rang desquels… les artistes eux-mêmes ?


Quels politiques pour accompagner la transition culturelle ?


Pour enclencher la mutation culturelle de la question énergétique, les politiques publiques territoriales peuvent chercher à agir sur plusieurs leviers, à condition toutefois de renoncer à penser les injonctions comme la clé des changements de comportement. Ceci nous semble particulièrement important à prendre en compte : l’injonction au changement fonctionne rarement et ne rend jamais compte de la complexité des problèmes. Elle peut même, dans certains cas, enclencher une réaction contraire dite de “réactance”, mécanisme de défense psychologique que nous mettons en œuvre pour tenter de maintenir notre liberté d'action lorsque nous la croyons menacée.


Pour commencer, les collectivités peuvent intégrer la dimension culturelle comme une composante incontournable des projets de territoire, la reconnaître pour mieux la mettre en action. L’une des pistes que nous souhaitons mettre en avant ici sans la développer concerne l’intégration systématique de la question des droits culturels dans les projets, en particulier dans leur phase participative. Les dynamiques TEPOS, PCAET ou Cit’Ergie sont des laboratoires idéaux pour ça, et cela tombe au bon moment puisque les droits culturels sont désormais inscrits dans les lois “Notre” et “LCAP” et qu'ils s’imposent progressivement comme une compétence à part entière des territoires (6).


Ensuite, il nous semble important de prendre le temps de questionner la pratique des scénarios de transition (7). Un scénario repose en effet sur une vision technique quantifiée et neutre, qui part du présent pour modéliser un avenir probable à l’aune de tendances prospectives. Il prétend à une forme d’objectivité mais la pratique vient infirmer cette prétention pour de nombreuses raisons. Derrière l’apparente objectivité des chiffres, les scénarios sont assez subjectifs à la fois dans la méthode (les ajustements et les routines sont nombreux) et dans leur intention stratégique qui oriente le choix des données mobilisées et leur donne une dimension performative (au sens où ils contribuent à modeler l’objet qu’ils mettent en représentation). Ils ont aussi tendance à accorder à la question de la consommation, et donc à celle des comportements individuels, une place prépondérante. En cela, la question culturelle est purement et simplement éludée, alors que le développement d’une culture du commun, par exemple, aurait un impact évident sur le chemin décrit. 


La construction d’une vision d’avenir ne saurait reposer uniquement sur des données quantifiables. Les représentations sociales qui la composent sont autant d’éléments qui rattachent la pratique de scénarisation à sa dimension profondément culturelle, voire artistique en cela qu’elle permet de créer un récit partagé. Or, cette dimension n’est aujourd’hui que très mal assumée, car la pratique vise par ailleurs une forme de rationalisation du pouvoir. Deux objectifs parfaitement contradictoires : objectiver la décision politique d'un côté, et construire du récit de l'autre...


Enfin, un autre levier demeure encore relativement contre-intuitif pour de nombreuses collectivités, il concerne le rôle facilitateur qu’elles peuvent se donner au niveau des territoires pour être en phase avec leurs parties prenantes.


Cette volonté correspond de plus en plus à l’attente citoyenne sur la manière dont doit s’opérer la démocratie à l’échelle locale, en prenant en compte les initiatives existantes, à l’image des coopératives énergétiques et des projets citoyens, et en cherchant à les mettre en musique sans leur imposer un cadre institutionnel rigide qui figerait les dynamiques plus qu’il ne les accompagnerait.



Ceci nécessite de repenser la gouvernance territoriale de manière beaucoup plus organique, c’est à dire en acceptant pleinement les dimensions multi-scalaires et multi-partenariales de ces nouvelles dynamiques, et en cherchant à les accompagner sans les contraindre. Dans ces nouveaux modèles de gouvernance doivent être traités de manière globale les enjeux horizontaux (coopération inter-services, intra-territoriale et inter-territoriale) et verticaux, aussi bien top-down que bottom-up (connexion entre échelons administratifs, entre politiques et citoyens, entre experts et acteurs de terrain). Ceci pourra sans doute contribuer à la bascule culturelle sans la contraindre, par effet de synergie entre acteurs du changement, qu'ils soient institutionnels, citoyens, experts, universitaires, usagers...


Ainsi, reconnaître le fondement culturel d’un projet de transition doit permettre aux acteurs de changer de vision en intégrant une dimension systémique. Cela les oblige pour eux-mêmes, pour les autres acteurs, et pour la société toute entière, et les amène à changer de regard, à intégrer pleinement leur propre subjectivité dans les projets, à mieux dialoguer pour mieux collaborer à un objectif commun. Bref : à faire culture.



(1) voir “Psychologie et développement durable”, sous la direction de Karine Weiss et Fabien Girandola, aux éditions In Press (2010)

(2) voir “La transition énergétique à l’épreuve du mode de vie”, par Bruno Maresca et Anne Dujin : https://www.cairn.info/revue-flux1-2014-2-page-10.htm

(4) voir “Vers une transition énergétique” par Laurence Raineau :https://www.cairn.info/revue-natures-sciences-societes-2011-2-page-133.htm

(6) voir “les droits culturels enfin sur le devant de la scène” par Patrice Meyer-Bischhttps://www.cairn.info/revue-l-observatoire-2008-1-page-9.htm#

(7) voir “L’énergie des sciences sociales” par Olivier Labussière et Alain Nadaï :https://books.openedition.org/allianceathena/203?lang=fr

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